Vents sombres

Tout était silencieusement pur

Les surfaces et les formes de la nuit
Laissaient apparaître au bord de l'eau céleste
L'écriture minuscule de nombreux dieux étoilés

Moi, qui cherchais où me poser dans l'infini des étoiles
Je ne connaissais même pas leur place, leur nom et leur histoire

Pour quoi faire ?

Le pays intime d'où elles venaient se reflétait à la surface de l'eau

Pas un souffle d'aurore, le silence
Il y avait là l'ouverture d'un lieu secret

Et pourtant la vision qui s'imposait à mon esprit
Touchait aux bornes terrifiantes de l'inframonde

C'était quoi cet endroit ?

Les orbes traçaient des signes étranges
Ils étaient tout près maintenant
Ils étaient à mes côtés en un instant

L'endroit était rempli de têtes sans visages
Il n'y avait là encore qu'une zone indécise
Et ce foisonnement d'univers invisibles
Etait nécessairement encore à identifier

Plus loin, dans un repli de l'espace
Une présence de clarté vagabondait
Et prenait plaisir à l'errance

Dans cette odeur de brume, il y avait une force de lumière

Le besoin d'absolu des hommes était tel qu'ils suivaient cette utopie
Transparente à l'émotion, à l'amour, à la reconnaissance
Jusqu'au plus profond de cette nuit ouvrante

Il y avait toujours un grand horizon
Derrière l'horizon fermé par son apparence

Le visible n'était-il donc que le véhicule d'une autre réalité ?

Le Quai de la Tournelle
Resterait toujours celui d'une dernière nuit à Paris
Mais la définition charnelle de ses rives aurait pu aussi bien être 
Un paysage métaphysique poussé à l'extrême côté du cœur, voire au-delà

Ainsi l'essentiel avait-il sa forme en dedans
Et l'apparent, en dehors

L'externe n'était qu'une parcelle du monde sur elle seule close

La haute mélancolie de la pluie noire
Parcourait l'aéroport tristement désert
Tout était figé dans l'instant
Encore sous l'émotion
D'un éclat de lumière factice

La fixité menaçait constamment l'esprit du lieu

Quels étaient ces si beaux yeux, pourtant
Que de sombres vents avaient laissé échapper
Quelque part et qui s'apprêtaient à construire
Dans leurs bras amoureux leur chemin d'étoiles ?

Il y avait des présences inconnues
Toutes surprises de connaître
Des destinations nouvelles

Le souffle de la nuit emplissait
L'ombre claire de ces formes rêvées

La respiration de leur amour avait retrouvé le silence de l'instant
Dans le jeu incertain des lumières et des ombres

Il n'y avait pas un seul éclat de nuit qui fut faux
Tout ce qui se lisait sur les lèvres du ventre était vrai

Car une étoile n'oubliait jamais une île de chair matricielle
Qui était restée dans sa lumière aussi longtemps

Aussi je proposai d'en revenir à l'images d'elles
Parce qu'elles étaient faites d'une rare violence d'amour
Pour permettre à des dessins d'enfant de prendre vie sur nos corps




Couloir des Ombres

Une vague pensée
Adresse un sourire
Triste à l'air du soir

Les liens humains se côtoient
Et pendant ce temps rôde une fin du monde
Oppressante autour d'eux

La clarté lunaire est captation
Accueil de la haute étrangeté
D'une âme captive en ce monde

C'est toujours ce regard du repentir
Qui nous porte à chaque seconde
Vers la très grande nouveauté
Des sensations-émotions hasardeuses
Comme au bout d'une nuit de soi-même

D'où vient la grande ombre
De la lumière crue de ce lampadaire ?

Où est l'image présente ?
En moi ou en dehors de moi ?

Pourquoi le noir est-il incessamment sublimé à la lumière ?

Le paysage de la Rue-Saint-Julien-Le-Pauvre
Parcourt une baie vitrée pour rejoindre
Dans les éclats de lumière sa transposition

Le ciel et les rues de la nuit
Sont nourris par la clarté lunaire

J'ai voulu faire les premiers pas
Dans le merveilleux et le mystérieux
Et j'ai fait une saisie directe, immédiate
De la vie de n'importe quel visage
Qui est dans la mort

Qui donc les enlèvera, les arrachera
A cette horrible vie d'oppression ?

Ceci concerne à la fois les lumières et la musique
L'indicible bleuté des ciels, le bruit incessant des vagues
Et la haute note jaune des blés de Vincent

Toute disparition commande une autre disparition
Jusqu'à la détresse extrême

Il-lui-l'homme-moi-je suis tombé de ma transparence native

Pourtant, en même temps
Il y a quelques visions enfantines
Dans les marges des respirations masculines

L'énigme qui les anime se produit
Comme une reconversion de l'adulte à l'enfant

Ce sont elles qui embrassent la voix et ensuite le corps
Qui introduisent le spirituel en plein physique

Cela peut sembler étrange
Ce n'est pas la lumière qui prend une direction, mais l'inverse

Ici je suis au centre de quelque chose qui invite à la course éperdue
Des rivières et des signes éblouissants

Le feu du Vivant s'en va jusqu'où la chambre crépusculaire s'achève
Le Corps intérieur s'éblouit d'éternel où commence la nuit multidimensionnelle

Il nous faut partir de ce chagrin céleste

Les plus beaux chants réceptifs sont à l'ombre de la blancheur

Destination : le triangle amoureux
De la lame, de la vague
Et de l'écume du ciel
Qui se forme sans qu'on la voit

Attention !
Toute explication arrête le chemin de l'idée

Que se passerait-il si le soleil de l'imagination disparaissait
Au milieu des sept étoiles de la Grande Ourse ?

Il n'y aurait plus d'existence pure
Il n'y aurait plus de sable vierge

La chair souffrante se détournerait
Des méandres d'une rencontre amoureuse

La chaleur de la peau, elle, très vite, prendrait le large

Enlevons à la lumière ce qui la ferme

Toute lumière est habitée

Parce que c'est précisément dans cette mer de lumière
Que gît le germe du merveilleux

Le beau rêve lui-même est cercle, ronde, mouvance
Une étoile au nom d'île ou une île au nom d'étoile

La lumière sur l'île-corps est toute la lumière des yeux

Et tout ce qui est invisible de l'extérieur est nôtre

C'est donc ça ! ça qui fonde la faim du feu
Et la naissance de la poésie



Sous le regard Lilithien

Lilith, le nom seul fait déjà rêver
Les fenêtres de la nuit lui prêtent
Leur rectangle de lumière

Personne ne lui ressemble et ne l'explique
C'est un vrai mystère

J'entends les cris de la lumière
Qui se fraient un passage
Au milieu d'un peuple d'étoiles
Ouvertes comme des ailes

Le monde se crée secrètement
Je ne me rappelle plus les précédents voyages

Elles mettaient du rouge sur les lèvres
Et du noir sur les yeux et, dans le bleu de la nuit
Des éclats de désir brillaient d'amour

L'égarement de ces éclats de désir
Dans les éclats de la nuit
Déposait une sourde inquiétude
Dans tous les plis de ma chair

Qui ?

Je parlais indistinctement de l'absence et du retour
Le souffle du soir Rue-De-La-Huchette
Ne traduisait pas celui de l'aurore de vie
Mais le goût trouble de la chaleur de l'âme

Quoi ?

Un matin de dimanche à Nice
Entre une enfance et la vie d'adulte
J'avais conçu le projet de partir en voyage

Où ?

Je m'étais dirigé vers cette lumière soudaine
C'était émotionnel, affectif, ça participait de la magie

Quand ?

J'attendais le moment où les premières pluies d'images
Auraient doucement ouvert les fenêtres de l'indicible

Pourquoi ?

Il s'agissait d'extraire de cette vie l'Être
Avec lequel j'étais fait pour m'entendre

Comment ?

Il fallait la rencontre de cet éclat de nuit
Et de cette obscure plage d'elle
Pour me faire revenir Rue-Du-Point-Du-Jour
A la caresse de son Visage intérieur

Comment s'appelle-t-elle ?

Chaque jour, elle a une personnalité nouvelle
Chaque jour, elle a une apparence plus belle
Et chaque jour le climat de l'aube en souffre

D'où vient-elle ?

Chaque univers qu'elle raconte
Est toujours prêt à lui échapper
Chaque solitude qu'elle raconte
Ne peut se défaire de la vie en marge

Où s'en va-t-elle ?

L'éclat des miroirs de la nuit lui a souri
Et, par la fenêtre de ses mots
J'ai cru percevoir un lieu encore inexploré

Le noir coule en bleu
Pour me tendre sa lumière

Le noir et le nu
C'est l'idée qui a déclenché
Tout mon amour d'elle
Pour la voir, la toucher
L'entendre et la goûter

En elle l'innocence et la perversité
Se lient comme à une odeur marine
Cette chair ouverte ou au silence la nuit

Quelle était belle l'heure du rêve
Quand l'étrange étrangère était seule à bord
Debout sur le pont et en allée
Avec la lumière et les formes noires

Mais, à quelques exceptions près
L'animal mâle lumineux s'enfonce
Et disparaît comme un noyé

Il faudrait être ombre et très seule
Pour dessiner la forme juste dans la caresse

Dans cette circularité de l'interne et de l'externe
Il y a de mystérieuses correspondances
Entre ce côté-ci et l'autre côté

Je m'arrête un instant pour observer
Le jeu éperdu des rayons de soleil

J'entends le long, infiniment long baiser de la mort

J'entends aussi le galop
Du cheval rouge de Morrigan
Née de la mer immense et bleue

Une plage très secrète a des sexes bruns
Sur laquelle les éclairs divins de l'incantation sacrée
N'attendent jamais les réprobations d'une belle société

Il existe d'innombrables manières
De mordre le soleil pubien
Mais il n'existe qu'un court instant
Pour la découverte triste du sexe féminin

Je connais cette image de l'aliénation
Qui s'inspire de celle de la femme
Eternellement née pour être regardée

L'objet de ce regard
C'est d'abord le grand visuel frénétique
Des peurs et des inhibitions
Dans la poursuite hasardeuse
De l'objet de nos fantasmes

La liberté, la solitude ont beaucoup en commun
Avec les formes de l'oppression

La séparation des deux mondes
Empêche le soleil d'ondes profondes

J'aime trop l'expression du fantastique à l'infini
Et au quotidien pour la réduire à son squelette

Le monde de la dualité engendre le temps du mensonge

A présent, je scrute l'obscurité
Il faut bien que le couloir des ombres
Si tristes, si paisibles, si calmes
Partage aussi ses voyages

La chaleur de l'âme et la lumière de l'esprit
Se serrent l'une contre l'autre

Chacun d'entre nous reconnaît sa blessure
Et les signes d'amour à un endroit de sa vie

Surtout ne pas assassiner les rêves des enfants
Le mystère de chacun dépend de sa naissance



UTOPIA

Quiconque s'est plongé dans sa nuit
Devra se raccrocher à des feux perdus
Plus ou moins sensibles et angoissants

On se perd dans la forêt
Pour mieux se retrouver

Le cœur de la forêt est l'endroit où l'aube paraît

C'est par là que passe
Le cordon ombilical de la lumière

La nuit porte sa lumière dans les yeux des étoiles
Les étoiles portent leur feu dans le cœur de la nuit

Très vite, donc, le passage continuel
De l'extrême opacité à l'extrême lumière
Et de l'extrême lumière à l'extrême opacité
Traduit une soif irrépressible de sens

Mais le sais-tu toi-même ?
L'absence de sens, mon frère, signifie le néant

Eh quoi ! Je réclame d'être

L'absence de communication est sans doute à l'origine
De l'obscur et de toutes les aliénations

Toute turbulence est-elle détentrice de la force poétique ?

Quand je me plonge dans la bière
Je suis happé par les voiles de mon île navigante

Dès lors, je crois discerner cette violence d'amour
Extrêmement idéalisée qui caractérise l'alcool utopique

Si l'instinct de liberté
Est un instinct de vie
Il n'en demeure pas moins
Que l'instinct d'obéissance
Est un instinct de mort

L'île d'utopie n'est pas faite pour les touristes

L'île d'utopie est un lieu indéterminé
Ou devrais-je dire une dimension de l'être

C'est un voyage dans les yeux de la rue
Qu'on barricade pour changer le monde puis la vie

C'est ainsi que toute vraie liberté est noire
Et qu'on ne peut imaginer une métaphysique 
De la mer désertée du ciel

Pour ouvrir des voies inconnues
Dans ce jeu constant du réel et de l'apparence
Il faut d'abord mettre du désordre partout

Or il ne s'agit pas de renverser
La relation oppresseur - opprimé

Il est bien entendu que ce n'est pas
Une revanche de l'exploité sur l'exploiteur
Mais l'espérance libertaire de tous les actes
Qui nous sont possibles

Prendre le pouvoir n'est pas un acte naturel
Mais il est essentiel de prendre son pouvoir

Il s'agit d'expérimenter le sentiment de sa propre liberté

Regarder
Ecouter
Goûter
Sentir

Le voyage utopien c'est d'abord la liberté illimitée
De peindre le ciel de notre couleur
De sculpter le pays de nos fantasmes

Les voies d'expression poétiquement libres sont partout
Et toujours ouvertes vers un autre ailleurs et un autre absolu

Là est l'invention d'un chant, d'une direction

La proximité du transcendant
Reste le principal ressort
De la dimension spirituelle
Et communautaire de l'homme

D'où la primauté accordée à la dimension personnelle
Et à l'expression terrestre débarrassée de l'institution

L'utopie vivante a besoin d'une poésie en actes
Pour produire une plus grande concrétude

Cette essentielle expérience de renaître
Est peut-être l'utopie la plus concrète

Bien sûr, c'est une perspective utopique, un espoir
Non pas l'alliance harmonieuse de l'esprit et de la matière
Mais un mariage possible dans "l'ici et maintenant"
De l'idéal et de la contingence

Au vrai, ces deux mondes n'ont rien d'inconciliable

La transcendance peut être immanente
Et l'immanence lumineuse

Sans cette relation de transcendance directe
Il n'y aurait plus de chemin, plus d'aube
Et la vie serait tristement déserte




Outre-Soleils

Dans la Rue-De-La-Bûcherie
Les ombres faisaient de la poésie

J'étais sûr de leur arracher leur secret

Je ne savais pas comment
Mais je savais quand : la flamme noire de l'écriture

Pourtant bien des choses séparaient
Ces deux silhouettes vacillantes

L'une songeait qu'il fallait
Rendre le visible à son invisibilité
Et l'autre, qu'il fallait surtout
Remplacer l'au-delà par le tout de suite

La douce et apaisante voix de l'évasion était toujours lointaine

Et les fiançailles d'outre-soleils
Naissaient à chaque seconde à la vie
Et à la liberté d'un Autre tout autre

Il fallait aller chercher l'infiniment tendre là où il se trouvait
Clos Mauvoisin, Rue Galande ou Rue De Bièvre

La Rue des Trois Portes n'était plus qu'à quelques encablures

Le besoin d'amour affleurait sous les surfaces matinales
De la Rue des Coutures-Saint-Gervais

L'ombre tranquille de la nuit déjà anticipait
Le premier lieu dans l'eau du petit matin

Peut-être était-ce par cette fente avide de lumière
Et d'espace que s'ouvrait l'œil des étoiles

Dans les brumes sombres, les passagères de la nuit
Etaient sublimées à chaque seconde par les regards
Que des ombres d'hommes posaient sur elles

J'entrais dans ce bar de l'aube où tout respirait l'odeur
Et gardait le goût de leur bouche et de leur sexe

Qui étaient-elles et qui n'étaient-elles pas ?

L'avant-aube, je crois, leur était douce
Comme le pointillé d'une rivière
Ancré dans l'éclat blanc et noir
De la lune secrète

D'où provenaient-elles ?

C'était dans ce feu nouveau né du mystère primitif
Que s'était éveillée pour la première fois
Avec le regard du soleil et le souffle des ombres
La pensée de la Source, de toutes les sources

Comment avaient-elles été créées ?

Il me fallait cependant m'attacher à une turbulence
Il y avait un tressaillement de l'infini
Dans tous les commencements

Indiscutablement les portes du Ciel s'entre-ouvraient
Jusqu'à l'emmêlement soudain des soleils noirs

Quoi : l'être-là, odora di femina
Qui : la présence d'un corps fait de chair et de ciel
Quand : le silence de l'instant contre l'œil du temps

Que faisaient-elles ici ?

Dans ce vent vierge et si peu blessé d'amour
L'union d'un chemin d'aube et d'une étoile errante
Demeurait l'un des rares champs d'expérience du possible

Ce lieu de toutes les utopies et de toutes les jouissances
Transformait sans cesse en lui-même la lumière
Et le regard comme s'il s'éveillait d'une île lointaine

Il suffisait, pour entrer dans cette île aux mille signes
De dépasser l'opposition immédiat/éternel

C'était pourquoi la simplicité bleue savait
Qu'elle ne savait pas l'infini, mais elle y cherchait
L'improbable et elle faisait naître aux quatre coins
De ses yeux l'invention d'un  passage

L'être-île et l'être-étoile tendaient précisément
L'un vers l'autre, comme pour embrasser
Avec lenteur une respiration amie

Je veux dire qu'ils alternaient
Dans la tragique aura des voix de ce monde

La nuit reste le seul moyen infaillible
D'ouvrir le ventre de la terre en direction
Du rayon le plus haut

Car la nuit n'a pas de pays
La nuit est une pensée

Elle a de longs silences bleus
Comme de longs cheveux
Merveilleusement tombés du ciel

Elle est la lectrice du visage
Etreignant dans ses mains
Le corps couleur de terre
Couleur de lumière

Cette grande attractrice existe
Au-dedans de tout et, pour raccorder
Tous les actes de courts et de longs plaisirs
Elle reconstruit le vaisseau-volant
De tous les bleus du jour

La saisie nocturne d'un paysage d'aube
Par l'infini imaginaire est plus vaste
Parce qu'elle est indéfinie et non délimitée

Dans la grande liberté nue et bouleversante
De ce corps unique le vent vierge d'un doux matin
Fera l'amour plus que n'importe quel archipel anténatal

Et ce sera l'ultime escale d'un pubis bouleversé
Inclus dans une Origine qui le dépasse



Alphée

Une étincelle de lumière douce et inquiète
Hante les lieux inventeurs de l'idéal

Qui n'a rêvé d'entrer avec Rimbaud au Cabaret Vert 
Pour y préparer avec le marcheur essentiel le retour de l'être ?

Les traces de constructions
Sur le corps de nos rêves
Devraient toujours être laissées visibles

Elles passent par leur hybridation
Avec les formes de la vie tumultueuse et troublée

Où ? Comment ? Dans quelles circonstances ?

Comment rejoindre l'autre chemin
Pour regrouper ce qui est séparé ?

Reste à savoir jusqu'où
L'on peut relier ce qui s'oppose

Quiconque s'est aventuré
Dans de longs couloirs obscurs et humides
Aimera le vent froid et silencieux
Plus que le désir d'un magnifique soleil

Certes il nous faut recomposer
Les morceaux du miroir éclaté

Nous sommes venus seulement pour rêver
Les dynamiques du singulier, de l'éphémère

Mais il n'en demeure pas moins
Qu'il nous faut d'abord démêler
Les écheveaux du soleil

Tout cela est à la fois exaltant et périlleux

Où s'arrête le secret de la source Aréthuse ?
Où commence l'île du fleuve Alphée ?

La nymphe Aréthuse fut enveloppée dans un nuage
Et transportée dans une minuscule petite île de sable
Et d'argile enroulée en rond sur le ventre chaud du monde

Mais Alphée plongea dans la mer luminescente et parvint à l'atteindre

Ce fut ainsi qu'il prit une piste ascendante
Et aborda le rivage de l'amour total
En volant sous la mer et en nageant dans le ciel
En direction du rayon le plus haut

Nous ne savons pas rendre le métaphysique physique
Parce que nous ne savons pas atteindre l'invisible dans l'origine

On écoute s'il pleut très loin, très haut
Du côté d'Eridan ou d'Antarès

Il suffirait de presque rien, peut-être un mot
Un signe ou une ligne dans l'espace
Pour atteindre l'autre rive

La chercher, elle est désir

Tu te rappelles l'île dans l'île
Jetée, perdue et retrouvée
Dans un rectangle de nuit bleue ?

Le cordon lagunaire menait à l'enthousiasme
Et à la générosité adolescents

Nous nous sommes longtemps posé cette question
Est-ce que nous sommes venus d'ailleurs
Ou est-ce que nous sommes venus d'avant ?

A la vérité, il se dégageait de cet endroit
Une telle impression d'accomplissement en rêve
Qu'il nous semblait des plus énigmatiques
Comparé à la vitre de la raison qui sévissait au dehors
Mais nous savions que l'instant poétique
Etait frère d'un commencement, d'un chemin
Et, qu'à cet instant précis du dialogue
L'occasion nous était offerte de nous unir

Alphée est le poème-source, la transparence première
Qui toujours dépasse l'état de corruptibilité

Quelle que soit
Le lieu d'émergence
De ce cosmos vivant
Pourvu que la chair et le souffle
Dans l'existence nue s'appellent et se répondent
Ce cosmos intérieur a toutes les chances sur le chemin de sa nuit
De s'accorder à quelqu'un qui lui ressemble

Mais le mythe peut vouloir écrire
Ou dessiner tout autre chose

L'essentiel a sa forme en dedans
Et l'apparent, au-dehors

Pourquoi la parole des ombres ?

Elle se produit dans l'égarement exaltant
Comme une sorte de nostalgie de l'innocence
Où fusionnent les deux irréductibles
Et fascinantes faces maternelles des mots

Le cœur a son mystère qui oscille toujours
Entre les visions noires et la survie
De la matrice originelle

Source des sources de la mer

D'où la nostalgie des liens profonds
Le goût pour des mots comme cercle, ronde, mouvance
Etonnement tendres et doux comme la visage de la femme

Comment ne pas mettre en rapport
Cette joie soudaine de la profondeur-hauteur
Avec d'autres visions enfantines
Qui transparaissent dans cette eau endormie
Et semblent faire le tour d'une île de chair matricielle
En harmonie avec l'aube orange et bleue 

La vague offre une lumière, une chance sur le sable attentif

Et le monde un et nu a été dessiné

Il ne s'agit pas de s'approprier le monde
Mais de toucher l'être directement par le corps
Et jusqu'au secret au centre qui est son âme

Recherche et non possession du monde

L'espoir rimbaldien de changer la vie n'a pas d'autre origine



Indiciblement

Des mots couchés sur la mer
Ou filant parmi les vagues
Etincelaient sur la crête blanche des images
Ce soir, disaient-ils, il y aura de la brume, des vents
Mais quand ils te parviendront
Ce sera une mer désertée du ciel
Une mer sans oiseaux
Je compris que, ce soir, quelque chose
Ou quelqu'un faisait ombre
Sur mon propre chemin




Octobre Noir

Chaque forme a son ombre
Indéfiniment répétée

Le bonheur de vivre alterne avec l'horreur de vivre

L'heure sombre approche
L'air est emplit d'odeurs fétides
Des corps mutilés s'échouent sur le rivage
Je regarde une jeune femme, presque nue
Ressentir dans tout son corps, comme une culpabilité secrète
Les souffrances et le mal qui la ronge
Dont d'autres assassins de raisons et de vies sont les acteurs

La carte du territoire est aux mains des prédateurs de la nuit

Pour quelle raison ?
Parce que le jour, l'heure et le lieu de ces noirs inconnus
Sont indiqués en empreintes meurtrières du monde et de la chair

Je n'ose plus regarder le regard et le rêve d'un enfant
De sept ans de toute la force de mes yeux

Octobre bleu noir


La voyageuse secrète

Connaît-on jamais vraiment la voyageuse secrète
D'un sourire sombre à l'autre, de lumière ?

Les yeux pirates d'un chat tigré blond roux
Observent mes nocturnes
Ils sont la sève de l'ombre
Pleine des traces d'une terre perdue

Mais ce n'est pas parce qu'une lumière est triste
Qu'il ne faut pas s'émerveiller de cette lumière
Qui se cache dans le noir et couvre le corps d'intenses passions

Qui suis-je ?

L'étonnement de la tête écoute et regarde mes soupirs

D'où je viens ?

Les jambes de la terreur prospectent en profondeur
Les frustrations mornes et vides
Les jalousies qui dégradent et détruisent

Où vais-je ?

La naissance est un mouvement d'arrachement
Expulsion violente d'avec une île à-même les hauts fonds

Le passage, la sortie, l'extase avec l'autre
Ou les autres : voilà l'idée

L'ombre de ce qui est se cache
Dans l'ombre de ce qui paraît

L'ombre bouge

Un sourire sombre n'a-t-il pas déplacé les lignes de fièvre
D'où devaient naître les fulgurances de nos cheveux ?

Dans chaque être, il y a un type d'amour différent
Qui peut venir d'une autre réalité

Et toujours, de toute façon, revendiquons-nous à nous même

Un monde en devient un autre
Pour habiter simultanément trois pays
Celui de l'eau, du vent et de la nuit

Eau

Le même bond répété dans l'ailleurs
Toujours sur la pointe de tes seins
Suivi par mon corps ce bateau
Dont l'étrave fend la vague

Vent

Oh ! Comme je voudrais frapper aux portes
De l'invisiblement visible, survoler les berges d'Aldébaran
Et me pencher sur cette clarté première
Qui se glisse entre les galaxies, reflétant
D'inédites secondes si fraîches, si pures

Nuit

Il se passe quelque chose cette nuit, mais quoi ?
Le noir se mue en clarté

Les seuls êtres vivants de la nuit
Ont-ils de la semence d'étoile
Sur le visage, dans la bouche ?

Quand le sable humide de la chair
S'aventure dans le dedans mouillé de pluie rouge
Pour crier toutes ses peurs, tous ses désirs

Quand l'alcool de la chair n'a de vitalité
Que celle qu'il tient de son ombre
Dressée comme l'érection masculine

Quand il est de fortes poussées irrésistibles
D'argent bleu qui meurent sur des lèvres avides
Prêtes à tout pour authentifier le Jour de tous les jours
Qui se lève sur la Voie Clarté

Alors la voie claire du Jour
Suffit à l'émerveillement
Des fleurs de cristal
Sur la vitre du ciel

L'amour est une profonde inspiration
Et, peut-être, un mouvement de communion

J'imagine que je suis l'Autre
L'Autre est totalement inconnu

C'est sans doute lorsque l'amour intervient par surprise
Par effraction, que je participe et reçois ses effleurements

Une onde imaginaire est tendue devant moi
Comme un fil d'argent dans une profusion
De couleurs-odeurs dont je revendique et espère
L'ombre blanche qui établira en un instant
D'une infime brièveté l'innocence des jambes, des bras, du cou

De la précipitation de la lumière à l'intérieur d'un sourire
Naissent des caresses qui n'ont jamais été formulées

Elles nous invitent à quitter la périphérie sécurisante
Du corps et à suspendre l'instant réel hors de la durée

Place aux mystérieuses traversées de démesure !

L'impulsion des hanches se fraie un chemin
A travers le mouvement élastique des cuisses

Il faut trouver ce qui nous relie à l'acte total de la vie
Dans la mobilisation d'un temps et d'un espace
De bouches incessantes, essentielles

L'image toujours inaccessible du bonheur
Est-elle ou n'est-elle pas à l'entre-jambes des femmes ?

Le plaisir orgasmique s'inspire à l'évidence
De l'extraordinaire mouvement des cuisses

Cet éclat de soleil pubien est un rayon lumineux
De lumière noire pour y plonger les deux doigts
Si profonds de cette main

Cela suffit pour l'imaginaire
Cela suffit-il pour le réel ?

Assurément puisque le réel s'accomplit dans l'imaginaire

Une poitrine ronde comme une colline blonde
N'existe qu'à travers ce qu'elle crée

Là où il y a deux êtres et l'amour
Il y a un chemin de lumière

Chaleur et clarté
Présence immédiate

Laisse-moi te regarder tout exactement
Comme un ciel toujours rosé par l'aube

Je soulève mon corps
Pour sentir quand il me vient un rêve
Sans rien perdre de sa réalité

Toi, c'est l'en-chemin
Je cherche toujours le lieu de notre naissance
Tout comme le font les volutes de l'aube

Quand je ferme les yeux, je vois
Cette très très rouge et secrète région de l'être
Qui est devenue si douce que je n'ai plus le courage
De regarder se produire l'ineffable 

L'amour, je le ferai en prenant tes jambes à mon cou
Et, ma bouche pleine, nous reprendrons la forme
Que nous avions tous les deux avant d'être nés sur la terre






























Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog